L'ennéagramme
« Le symbole qui prend la forme d’un cercle divisé en neuf par des points, reliés dans un certain ordre par neuf lignes, exprime la loi de sept dans son union à la loi de trois. Un homme isolé dans le désert tracerait-il l’ennéagramme sur le sable, il pourrait y lire les lois éternelles de l’Univers. C’est le mouvement perpétuel et c’est aussi la pierre philosophale des alchimistes. » George Ivanovitch Gurdjieff
Bien que personne ne connaisse précisément les origines de l'ennéagramme, sa filiation pythagoricienne est , par la géométrie, indéniable.
Son utilisation au sein d'écoles traditionnelles de sagesse en vue de l'éveil est également indéniable, ne serait-ce que par les écrits que nous ont laissé certains hermétistes, les écoles soufies ou encore Evagre le Pontique, Moine du désert d'Egypte du IVème siècle.
"Redécouvert" par G.I. Gurdjieff au début du XXème siècle, il est transmis oralement à Oscar Ichazo puis à Claudio Naranjo, psychiatre chilien qui va établir des correspondances saisissantes entre ce système et les données de la psychologie moderne.
C'est, à ce jour, le seul modèle qui catégorise de manière claire les mécanismes de défense que nous mettons en place durant nos 6 premières années de vie et qui restent actifs durant toute notre existence.
Toute quête spirituelle vise à la libération et exige, infailliblement et préalablement, la pacification de notre psychisme. Devenir intime avec ce que nous sommes, dans toutes nos dimensions, est le fondement essentiel et la condition sine qua non de notre épanouissement : il n'y a pas de rose sans épines !
«Il y a une part de toute chose vivante qui veut devenir elle- même: le têtard, grenouille; la chrysalide, papillon ; l’être humain abimé, un être complet.
C’est cela, la spiritualité.»
Ellen Bass
L’Ennéagramme est l’outil de dépouillement personnel par excellence : cartographie dynamique de notre essence d'être et de notre personnalité, il décrit les schémas d’identification qui causent notre obscurcissement ontologique, c’est-à-dire la perte de contact avec notre être.
En nous pointant clairement les ressorts à l’œuvre dans les mécanicités défensives qui nous endorment en même temps qu'elles anesthésient le vivant en nous, il nous aide à développer la vigilante et constante observation qui permet une progressive désidentification, c'est-à-dire un détachement de ces processus réactifs. Il fait place nette et nous ouvre la voie de la connexion avec notre nature profonde.
Quelle est donc cette nature profonde ?
L’intelligence de vie jaillit au cœur du cœur de nos cellules, irrigue tout notre être et vise à notre déploiement.
Dès notre naissance, cette énergie intelligente se trouve contrainte dans son expression, limitée par les valeurs et conditionnements que nous identifions comme nécessaires à notre survie dans l’environnement qui nous accueille.
Afin de satisfaire nos besoins fondamentaux d’amour, de sécurité et de reconnaissance, nous « gestons » puis « accouchons » d’un personnage affublé de multiples masques et de réactivités (ce dont on ne peut s'empêcher) qui se construit en regard de stratégies destinées à répondre aux attentes et exigences de cet environnement.
Confondant alors ce personnage pétri d’habitudes et de conditionnements avec l’unicité de notre essence d’être, nous le nourrissons jusqu’à ce qu’il consume, en nous, toute notre énergie vitale au détriment de l’être que nous sommes vraiment, Enraciné dans le terreau de notre plus tendre enfance, alimenté par nos très puissantes forces instinctives de survie, il s’installe naturellement aux commandes de notre vie dont il dirige, à notre insu, les moindres aspects.
Bien qu’on ne puisse pas totalement dissoudre les structures de cet ego tant elles sont profondément ancrées en nous – et ce malgré les promesses trompeuses qui foisonnent en ce sens à tout va - on peut néanmoins ralentir leur fréquence d'apparition et, ainsi, la densité et l'influence qu'elles exercent sur notre existence.
Notons qu’il ne s’agit pas de tuer l’ego, mais de le mettre au service de l’intelligence de vie qui est la source de notre être et de notre identité profonde. Elle est ce fameux trésor enfoui au plus profond de nous, que toutes les quêtes initiatiques nous content et que chacun est appelé à chercher et à découvrir, en lui-même et par lui-même.
L’Ennéagramme est la carte qui nous accompagne dans cette quête : il déconstruit pour nous ce personnage en nous montrant sa genèse, ses ressorts et comment cette empreinte s’est gravée en nous.
Cette quête existentielle du trésor enfoui, maintes fois contée depuis la nuit des temps à travers des récits mythiques, n’a jamais été autant d’actualité, tant les attentes et sollicitations du monde d’aujourd’hui alimentent notre mal-être et notre souffrance existentielle.
Cette souffrance existentielle n’est pourtant pas une fatalité : elle est l’intelligence de vie qui œuvre constamment en nous pour nous inviter à percer la poche des eaux de nos conditionnements. Petites ou grandes, nos souffrances sont le signe des résistances de notre ego au déploiement de cette intelligence de vie, de cette force qui nous est donnée sans que nous n’ayons rien de particulier à faire pour la recevoir.
Cultiver cette intelligence de vie est impossible sans sortir de l’esclavage à nous-mêmes, de notre passé qui ne passe pas, de toutes ces habitudes, stratégies et conditionnements qui nous maintiennent dans la prison « dorée » dont nous sommes les seuls tristes orfèvres.
Comme l'écrivait Thomas Merton « Que nous apporte d’aller sur la lune si nous ne sommes pas capables de traverser les abysses qui nous séparent de nous- mêmes ? »
L'ennéagramme est à la fois la carte et la boussole qui nous permet d'entreprendre ce voyage dans nos vastes et insondables profondeurs, comme l'illustre métaphoriquement la parabole du prisonnier contée par Idries Shah, maître soufi contemporain, dans son ouvrage "Monastère magique" :
Un homme fut condamné à la prison à vie pour un forfait qu'il n'avait pas commis. Il se comporta d'emblée de façon si exemplaire que les geôliers, au bout de quelques mois, se mirent à le considérer comme un prisonnier modèle.
On l'autorisa à rendre sa cellule un peu plus confortable, et son épouse put lui faire parvenir un tapis de prière qu'elle avait elle-même tissé.
Plusieurs mois s'écoulèrent encore. Un jour, il dit à ses gardiens :
« Je suis ferronnier de mon état. Vous êtes mal payés. Si vous pouviez me procurer de l'étain et quelques outils, je fabriquerais de petits objets décoratifs que vous pourriez vendre au marché, et nous partagerions le produit de la vente. Tout le monde y trouverait son compte. »
Ceux-ci acceptèrent. L'artisan ne tarda pas à produire des objets ouvragés dont la vente profita aux deux parties, jusqu'au jour où, entrant dans sa cellule, les gardiens la trouvèrent vide. Ils en conclurent que le prisonnier était un magicien.
Bien des années plus tard, après que l'erreur judiciaire eut été reconnue et que l'artisan, réhabilité, fût sorti de sa cachette, le roi de ce pays l'appela à la cour et lui demanda comment il s'était évadé.
« L'évasion n'est possible que par le juste concours de circonstances, dit le ferronnier. Ma femme a réussi à trouver le serrurier qui avait fabriqué la serrure de ma cellule ainsi que les autres serrures de la prison. Elle en a incorporé le plan intérieur dans un des motifs du tapis qu'elle m'a envoyé, à l'endroit où 5 fois par jour, au moment de la prière, ma tête le touchait. Elle espérait que j’enregistrerais ce dessin et comprendrais qu'il s'agissait du plan des gardes des serrures. Il ne me restait plus qu'à trouver les matériaux nécessaires à la fabrication des clés et à obtenir de pouvoir marteler et façonner le métal dans ma cellule. Je dus pour cela jouer sur la cupidité des gardiens, répondre à leurs besoins, pour ne pas éveiller les soupçons.
Voilà l'histoire de mon évasion. »